2 ans auparavant, Tycho

Morgan et Claire pénétrèrent sur le site de la catapulte trois heures avant l'injection du premier colis. Claire avait insisté pour être présente au moment où les capsules arriveraient. Elle voulait être certaine de prendre sur le fait ceux qui tenteraient de les prendre, quitte à rester embusqué des heures. Pour cette raison, elle insista aussi pour qu'elles emmènent de quoi passer plusieurs jours sur place, y compris un sac de couchage pour chacune. L'IA du site, qui répondait au nom de code d'Athéna, les laissa rentrer sans difficulté dès qu'elle les eut identifiées. Elles s'enfermèrent aussitôt dans un bureau opaque dont Claire avait fait vérifier à l'avance qu'il était vide. Claire ordonna d'emblée à Athéna de s'interfacer avec une copie de Rita pour laquelle Michael avait concocté une plateforme ultra portable qui tenait dans un petit sac à dos. Celle-ci afficha un grand tableau de bord où on distinguait les colis représentés par de petites icônes rigolotes, une facétie reconnaissable de Michael. On voyait la marchandise qui cheminait de porte en sas et de zone de stockage en aire d'enlèvement. Athéna gérait bien entendu des contacts étroits avec d'autres entités qui commandaient les camions et les trains automatiques qui venaient enlever ce fret. Avant même qu'un véhicule arrive pour embarquer, on pouvait à tout instant trouver où se situait chacune des pièces de sa cargaison et en suivre le cheminement. Morgan et Claire restèrent plus de deux heures à suivre en détail le fonctionnement de la plateforme afin de bien le comprendre, de sorte que lorsque le premier colis de leur cargaison fut extrait de sa capsule, elles en surveillèrent ainsi le transfert jusqu'au hangar de stockage prévu, à distance et avec la plus grande attention. Il ne se passa rien. Après quelques heures, elles se lassèrent de la contemplation de l'écran de contrôle. Elles se commandèrent à manger. Elles suivirent sur le mur la progression de leur dîner dont l'icône ressemblait plus à un étron qu'à une pizza, mais qui se révéla passable. Les colis surveillés arrivèrent un à un, il ne se passa rien non plus. Claire avait fait programmer par Rita des alarmes pour les avertir dès qu'une requête de mouvement où même un accès de suivi de statuts serait fait au sujet des paquets. De la même façon, tout trafic humain dans l'entourage des colis fut placé sous alarme par Rita. Elles dormirent tranquilles. Le lendemain, le dernier colis arriva après le petit déjeuner. Elles partirent visiter l'aire de stockage sur l'impulsion de Claire. Cette dernière avait placé Rita dans un petit sac à dos, ainsi qu'un Tazer, son arme de poing et les trois chargeurs qu'elle avait garnis avec soin pendant leurs heures d'attente. Soudain, alors qu'elles parcouraient un long corridor technique bordé de machinerie, et où croisait tranquillement une armée de chariots automatiques et de robots, Rita les informa qu'un groupe de trois personnes venaient de pénétrer la zone surveillée. Ils étaient entrés par une porte de service située à l'opposé et ils se dirigeaient vers la cellule où reposaient les colis, avec un ordre de mission d'y réparer la climatisation. Morgan lui demanda :

— La climatisation n'était pas en panne, hier. Pourquoi ne nous as-tu pas prévenues quand cela s'est produit ?

— Cela ne s'est pas produit... Correction : l'unité de climatisation s'est déclarée en panne quatorze secondes avant que ces trois personnes se présentent à la porte.

Morgan regarda Claire.

— Au moins, fit cette dernière, on ne sera pas mortes d'ennui à les attendre. Rita : enregistre toute l'information qu'ils ont donnée pour entrer, elle est sans doute fausse, mais le moindre détail compte. Demande aussi toutes les vidéos à partir de maintenant et enregistre-les, il est très probable qu'ils ont un moyen de les faire effacer après coup. Tiens-nous au courant de leur progression. Et demande à Athéna de les ralentir en stoppant tous les chariots automatiques !

Sur ce, elle sortit son neuf millimètres, vérifia le cran de sûreté avant de faire claquer la culasse pour y monter une balle, puis elle glissa le pistolet dans son blouson et elles se mirent en route.

— Alarme d'intrusion électronique ! fit vivement Rita depuis le dos de Claire. Le secteur que nos intrus abordaient a été passé dans un mode de maintenance. Athéna en a perdu le contrôle et la vidéo !

— Schwartz, fit Claire ! Ils sont très forts.

Elles coururent aussi vite que Claire parvenait à le faire, car sous la pesanteur lunaire la vitesse de la course était plus une affaire d'agilité que de puissance. Les corridors de la base semblaient interminables. Soudain, Rita les avertit :

— Athéna m'informe qu'ils ont fini de charger leur chariot. Ils sont en train de repartir. Tournez à gauche, puis à droite. Ils seront juste devant vous.

Elles repartirent en courant. Il leur fallait zigzaguer entre les rangs de l'armée immobilisée des engins roulants automatiques. En tournant dans un corridor, elles distinguèrent loin devant elles le chariot et son colis, ainsi que les trois formes humaines qui le poussaient.

— Halte ! cria fermement Claire, sachant que sa voix allait porter dans le couloir. Vous êtes en état d'arrestation !

Pour toute réponse, une détonation résonna avec le miaulement caractéristique du ricochet d'une balle. D'instinct, elles se jetèrent au sol, chacune de son côté du couloir derrière un chariot arrêté.

Comme Claire se relevait l'arme à la main, Morgan lui dit vivement :

— Ne tire pas sur eux !

— Quoi ?

— Tu ne peux pas tirer sur eux, sinon on va tous y passer, et la base entière avec.

— Morgan, je ne suis pas née de la dernière pluie, les engins nucléaires n'explosent pas quand on tire dessus ! Ça fait partie du cahier des charges !

— Celui-ci est différent.

— Différent comment ?

— J'ai fait le serment de ne pas en parler.

Claire la fusilla du regard. Elle se retourna et tira trois coups au-dessus des têtes des voleurs. Les détonations résonnèrent monstrueusement dans le corridor. Une voix de femme cria en retour, quasi hystérique :

— Ne tirez pas ! Ne tirez pas ! Halte au feu ! Qui que vous soyez, écoutez-moi bien : ne tirez pas sur cette cargaison. Il s'agit d'antimatière. Pour l'amour du ciel, ne tirez pas !

— De l'antimatière ? grimaça Claire en se tournant vers Morgan qui secoua la tête.

— OK, ce n'est pas moi qui te l'ai dit. Oui. C'est de l'antimatière. Et si le confinement électromagnétique flanche... Boum ! fit-elle en mimant une explosion avec ses mains. Ils m'ont parlé de plusieurs grammes. Ça n'a l'air de rien, mais un gramme d'antimatière correspond à vingt mille tonnes de TNT. Ce truc que tu as là dans le couloir, c'est l'équivalent d'une bombe thermonucléaire, mais en plus petit et en plus instable. Le moindre dommage à l'enceinte de confinement, et on y passe tous.

— L'antimatière, je croyais que c'était un truc de laboratoire !

Morgan secoua la tête.

— C'était. Ils ont mis au point des techniques de production et de stockage à grande échelle.

Claire pencha la tête de côté.

— La nouvelle super-arme hyper-secrète, c'est ça ?

— J'en ai bien peur, admit Morgan.

Claire soupira en levant les yeux au ciel.

— Et Schwartz ! C'est bien ma veine ! Un putain de secret d'État à l'échelle de la planète ! Rita ! Demande à Athéna de faire évacuer la base. Je veux qu'elle verrouille toutes les portes au fur et à mesure que les gens s'en vont. J'exige que soient arrêtés sur-le-champ tous les ascenseurs et tous les tapis roulants. Tout. Je me fiche de l'impact que cela aura sur le trafic. C'est clair ?

Avant même que Rita ne réponde, des gyrophares rouges apparurent au plafond, une alarme sinistre se fit entendre et une voix commença à répéter en boucle : « Alerte générale, priorité maximale. Ceci n'est pas un exercice. Tout le personnel doit évacuer. Alerte générale... » Rita annonça :

— Évacuation en cours, d'après Athéna, les passagers prendront la première rame de métro. La suivante emmènera le personnel sauf six personnes qui prendront la dernière rame, ensuite une rame vide nous attendra. Tous les véhicules autonomes sont arrêtés. Toutes les portes sont fermées ou en train de se fermer, à l'exclusion des routes d'évacuation.

Devant eux, les autres étaient repartis en poussant leur butin.

— Rita, ils ont quoi devant eux ?

— Le corridor se termine en té. Sur la droite, il y a un sas vers une sortie possible, mais le sas est verrouillé.

Bientôt, les trois formes et leur chariot tournèrent à droite. Claire se mit à courir après eux, Morgan la suivit. Rita dit :

— Ils passent le sas en mode de maintenance.

— Tu veux dire qu'ils vont réussir à l'ouvrir ?

— Affirmatif, c'est fait !

Elles arrivaient au coin. Claire passa la tête pour voir. Une détonation et le claquement d'une balle qui finissait sa course dans la porte en face lui firent comprendre qu'elles étaient chaudement attendues.

— Schwartz de Schwartz ! fit-elle entre ses dents, les salauds ! Et on ne peut même pas leur tirer dessus ! Morgan, dis-moi qu'ils ne vont pas s'en sortir comme ça !

Morgan, pensive, la regarda.

— Rita, fit-elle, demande à Athéna de décompresser d'urgence la zone de l'autre côté du sas. Dis-lui de traiter la situation comme un incendie violent. Dis-lui que c'est impératif et urgent, décompression immédiate de toute la zone !

— Combien de temps cela va prendre ? demanda Claire.

Morgan eut un petit sourire en coin.

— Une faible différence de pression suffira à les empêcher d'ouvrir la porte, même en manuel.

— Et ensuite, demanda Claire ?

— Ils seront coincés, à moins qu'ils équilibrent la pression en purgeant le sas.

— Oui, et après ?

Morgan haussa les épaules.

— Je vais faire l'hypothèse qu'ils ont des scaphandres, vu que, jusqu'ici, ils avaient tout prévu.

Claire passa la tête derrière le coin afin de vérifier que la voix était libre. Puis elle vint au petit hublot du sas pour regarder à l'intérieur. Elle tempêta aussitôt à l'intention de Morgan :

— Tu avais raison ! Ils sont en train de mettre des combinaisons ! On fait quoi ?

Morgan était en train d'ouvrir l'armoire incendie du couloir. Sous le regard intrigué de Claire, elle en sortit une grande hache de pompier.

— Recule-toi.

Morgan tourna la hache de façon à frapper avec le côté en pointe.

— La pression dans le sas baisse rapidement, fit Rita.

Morgan leva sa hache et frappa le bas de la porte de toutes ses forces. Au premier impact, la hache rebondit avec un son de cloche. Morgan frappa à nouveau dans la trace de ce premier impact. Au quatrième coup, la pointe de la hache perfora le composite avec un craquement sinistre. L'air qui s'engouffra avec ardeur fit siffler la brèche.

Morgan visa un autre point en bas du sas et frappa jusqu'à obtenir un deuxième trou de bon diamètre.

— La pression dans le sas est remontée, annonça Rita. Le système de sécurité autonome du sas a détecté la fuite et referme la purge de l'autre côté, il déclare la porte extérieure condamnée !

— Schwartz ! Morgan, tu es géniale ! fit Claire en souriant comme un gosse qui vient de gagner aux billes.

À cet instant, ils entendirent une voix étouffée qui hurla :

— Fils de pute !

Et il fit feu. Il vida son chargeur à travers la porte en composite du sas dont les éclats aspergèrent Claire et Morgan tandis qu'elles se jetaient au sol. Quand la salve fut terminée, Morgan se releva et, attrapant Claire par le col, elle tira son corps aussi vite qu'elle put, jusqu'à tourner le coin. Là, elle tomba à genoux pour examiner Claire. Celle-ci la regardait, les yeux exorbités. Elle haletait comme une femme qui accouche. Morgan considéra la traînée de sang laissée sur le sol. Elle retourna Claire avec autant de douceur qu'elle put, tirant des gémissements retenus de Claire qui serrait les dents à les briser. Morgan lui ôta son sac. L'étoffe dans le dos de Claire était trouée et maculée de sang. Morgan souleva pour regarder. Des éléments de l'unité centrale de Rita étaient venus se planter dans le dos de Claire. La blessure la plus vilaine, sous l'omoplate, ne semblait pas très profonde et ne saignait pas assez pour révéler la rupture d'une artère. Morgan l'expliqua à Claire en la couchant sur le côté.

Une petite voix s'éleva du sac que Morgan avait abandonné au sol.

— Je suis là ! J'ai subi une ré-initialisation complète, ma batterie principale a été détruite, ainsi que toute ma connectique et mon projecteur, mais je n'ai perdu que deux secondes de contexte.

— La balle a ricoché sur elle, expliqua Morgan. On peut dire qu'elle t'a sauvé la vie.

Claire reprenait son souffle petit à petit.

— Au moins, on n'a pas perdu les enregistrements, répondit-elle entre ses dents, puis elle ajouta : Rita, je suis contente que tu t'en sois sorti toi aussi.

Elles entendirent un bruit derrière le coin du corridor, du côté du sas.

Claire sortit fébrilement son automatique de sa poche en roulant sur le ventre et elle tira trois coups au hasard dans le corridor. Ils résonnèrent comme des coups de tonnerre.

— Halte au feu ! cria une voix féminine.

Claire lui répondit :

— Vous êtes en état d'arrestation ! Lâchez vos armes !

— On t'emmerde conasse ! répondit un homme. La femme le coupa en hurlant comme une hystérique :

— Verinsky ferme ta gueule !

Il y eut quelques secondes de flottement. La femme parla, plus calmement :

« Écoutez ! Qui que vous soyez, vous devez comprendre qu'il s'agit d'une mission de la plus haute importance. Laissez-nous passer. Cette cargaison est vitale pour notre projet, vitale pour l'humanité. Laissez-nous passer et vous aurez rendu service à une grande cause.

— Vous êtes en état d'arrestation ! répondit Claire. Lancez cette arme sur le sol jusqu'à moi !

— Je ne peux pas faire cela, répondit la femme avec un ton de regret très perceptible.

Elle marqua une pause. Cherchait-elle des mots convaincants ? Elle dit :

« L'enjeu de cette mission vous dépasse. Vous devez nous laisser passer.

— Il n'en est pas question. Vous êtes en état d'arrestation. Lâchez vos armes et rendez-vous !

Elles entendirent alors une discussion sur un ton pressant, mais elles ne purent en comprendre le sens. Morgan consulta Rita, celle-ci n'avait pas entendu non plus. Claire tenta de se lever et Morgan s'avança pour l'aider. Claire la repoussa de sa main libre, l'autre serrait son arme. Morgan vit que Claire avait maintenant une grande tache poisseuse de sang dans le dos. Claire vérifia son arme. Elle sortit le Tazer du sac et le lança vers Morgan. Comme Morgan attrapait l'arme au vol, Claire lui dit très bas, avec un regard grave et déterminé :

— S'ils tentent une sortie, couche-toi et fais la morte. S'ils me descendent, il te restera ça. OK ?

Rita dit :

— Athéna m'informe qu'ils tentent d'ouvrir un tunnel de communication sécurisé, par le réseau public.

— Qu'elle le bloque, exigea Claire ! Ils cherchent à contacter leur hiérarchie.

— Exécuté, toute communication interdite. Athéna indique qu'ils tentaient d'accéder à un serveur dans le domaine d'adressage de la base de recherche en armement spatial. Elle a capturé les identités virtuelles correspondantes.

— Ah ! fit Claire, enfin de l'information concrète ! Demande-lui une copie, et envoie-la sur-le-champ à l'adresse que je t'ai donnée !

— C'est fait.

— On ne sera pas venues pour rien, soupira Claire

À cet instant, la sirène d'évacuation se tut, le message en boucle s'acheva par cette phrase : « Évacuation terminée. » Le paysage sonore se réduisit alors au chuintement discret de la ventilation. Elles entendirent un déclic dans le couloir, en provenance de la porte du sas. Claire regarda Morgan en secouant la tête. Son visage était crispé et sinistre de concentration. Bruit de glissade. Claire leva son arme à deux mains et, avec une grimace de douleur, elle vint se placer derrière une armoire électrique. En callant son épaule indemne contre le coin de la paroi, elle fit signe de la tête à Morgan de se reculer, de changer de côté. Morgan comprit qu'elle avait la certitude qu'un assaut était imminent. Elle se cacha accroupie derrière un petit robot-chariot de l'autre côté du couloir, le Tazer à la main. Elle vit Claire, tremblante de tension contenue, qui descendait sur ses genoux en braquant son arme vers le coin du couloir, et ses épaules qui se soulevaient comme elle prenait de profondes inspirations. Morgan fut saisie par l'intensité de son regard concentré, par la tension maîtrisée de ses bras. Soudain, la lumière dans le couloir s'éteignit et une forme jaillit. L'homme passa en courant devant l'ouverture en tirant sur elles au jugé. À la troisième détonation, Claire fit feu à son tour. L'homme sembla manquer un pas. Il tomba avec un bruit mou. Le vacarme des échos des détonations résorbé, Claire se releva avec une peine visible. Elles entendirent une cavalcade et la porte du sas qui fut claquée. Claire alla au coin et y jeta un coup d'œil. Puis elle s'approcha de l'homme au sol, bientôt rejoint par Morgan. Le sang de leur assaillant avait déjà presque cessé de s'écouler de sa blessure, tandis qu'il fixait le plafond de ses yeux vides.

Morgan se retourna vers Claire qui se tenait penchée au-dessus du corps.

— Ça va ?

— Ça fait un mal de chien, mais je vais tenir le coup.

— J'irais bien voir ce que nos deux allumés de service sont en train de faire dans ce sas avec assez d'antimatière pour annihiler une ville.

— Que veux-tu dire ? demanda Claire en fronçant les sourcils, et puis elle ouvrit de grands yeux. Tu ne crois pas... ?

Morgan haussa les épaules. Claire se tourna vers le sas et cria :

— Ouvrez cette porte !

La porte s'ouvrit sur deux silhouettes, l'une était la femme, l'autre un grand gars au visage fermé. Ils avaient un air sinistre. La femme cachait une main derrière son dos. Pour cette raison, Claire la mit d'emblée en joue.

« Les mains en l'air ! cria-t-elle.

Le grand gars regarda sa compagne. Celle-ci sourit avec tristesse. Son visage affichait une expression de calme étrange. Claire tremblait de tension. La femme bougea son bras, mais c'était pour mieux cacher sa main.

« Lâchez ça, cria Claire !

La femme secoua la tête.

— Pauvres fous ! On a tous perdu maintenant, dit-elle. Elle ajouta rêveusement :

« Je n'ai qu'un seul regret, celui de ne pas être venu en force.

Alors, après une seconde d'immobilité, elle leva d'un coup son bras vers Claire, qui la foudroya d'une balle en plein front. Tandis que la femme tombait face contre terre d'un seul tenant, le grand gars montra les dents et hurla une espèce de feulement sinistre en se jetant vers Claire. Grâce à la faible pesanteur, son bond fut aussi considérable que celui d'un tigre. Ses mains qui visaient la gorge de Claire au bout de ses deux grands bras lancés en avant, semblaient deux énormes pattes pleines de griffes. Claire l'abattit à bout portant, bang, bang. Cependant, il était arrivé si près que son corps vint la percuter avant qu'elle ait le temps d'esquiver. Ils tombèrent ensemble. Ils roulèrent l'un sur l'autre sur plusieurs mètres. Claire hurla, de douleur en touchant le sol, puis de rage et de terreur en se débattant comme une folle pour repousser le corps qui l'inondait d'un sang épais. Morgan vint se jeter à genoux pour dégager Claire, ce qui eut aussi pour effet de retourner l'homme sur le dos. Claire l'avait blessé à la base du cou et sa carotide sectionnée le vidait de son sang à grands jets. Il leva faiblement ses grosses mains vers son cou, mais n'y parvint pas. Ses yeux basculèrent en arrière. Son corps était parcouru de tremblements intenses de la tête aux pieds. D'instinct, Morgan tenta de colmater l'hémorragie de ses mains. Elle eut l'impression qu'il la regardait de ses yeux exorbités et blancs, tandis qu'elle observait, impuissante, le sang qui s'échappait entre ses doigts comme une fontaine. Il émit un râle humide et se tétanisa. Deux soubresauts, il était mort. Effarée, Morgan retira ses mains ruisselantes. À côté, Claire se mit sur un coude en gémissant. Morgan vit qu'elle n'avait pas lâché son arme. Morgan essuya ses mains dans la chemise de l'homme et vint aider Claire à se remettre sur pied. Celle-ci tituba, elle était couverte de sang, celui de l'homme plus que le sien. Elle tremblait. Elle considéra les trois corps avec une expression de dégoût sinistre. Elle alla pousser du pied la main de la femme. Celle-ci s'ouvrit sur une petite clé à molette en fibre de carbone.

— Schwartz, Schwartz, Schwartz, répéta-t-elle, stupéfaite et horrifiée. Elle se mit à pleurer, mais on sentait bien qu'elle restait néanmoins maîtresse d'elle-même. Elle leva sa main libre vers son visage. Elle s'interrompit en voyant que celle-ci était maculée de sang et elle s'essuya le nez d'un revers de celle qui tenait encore l'automatique. Putain de Schwartz, conclut-elle en regardant Morgan, et faute de mieux, elle essuya sa main sur son pantalon. Putain de Schwartz, quel gâchis. Morgan lui demanda :

— Ça va ?

Claire secoua la tête en clignant vivement ses yeux pour évacuer les larmes.

— Non. Mais, on va faire comme si.

Morgan se détourna. Elle venait d'entendre qu'il émanait du sas un petit bip périodique et strident. Elle y pénétra avec circonspection afin de s'approcher de la cargaison volée. Un panneau avait été ouvert sur la façade de l'unité de stockage. Celui-ci dévoilait une mini-console, et un écran qui clignotait en orange vif. Y était écrit dans une police énorme qui prenait tout l'écran :

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Danger : Défaillance source électrique principale

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Morgan se tourna vers Claire qui approchait. Claire lut le message et ouvrit de grands yeux.

— Qu'est-ce que ça veut dire ?

Morgan haussa les sourcils. Elle toucha expérimentalement le clavier. Un nouveau message apparut :

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Erreur : Mot de passe administrateur requis

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Claire qui écarquilla les yeux.

— C'est pour cette raison que cette salope a voulu que je la descende : pour être certaine que nous n'obtiendrions pas le mot de passe, même avec un sérum de vérité !

Morgan hocha sombrement la tête. Elle commença à tenter quelques touches de fonction. Le message réclamant le mot de passe s'afficha chaque fois. Elle persévéra néanmoins, jusqu'à ce qu'un message différent s'affiche :

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Information de situation

État :

. Défaillance source électrique interne principale

. Accumulateur de secours en opération

. Unité non vide

Interprétation :

. Attention danger !

. Sévérité : critique

Notice d'aide :

Avant l'épuisement de l'accumulateur de secours, vous devez impérativement soit :

a) Rétablir l'alimentation principale

Ou

b) Vider l'unité

Ou

c) Contacter votre service de support technique pour plus ample information

Capacité accumulateur secours (estimée) :

26 minutes, 34 secondes

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Alors, sous leurs regards horrifiés, le chiffre des secondes se décrémenta, et puis, inévitablement, il perdit à nouveau une unité.